Face aux aléas climatiques et à la pression croissante sur les ressources, l’agriculture cherche constamment des solutions pour sécuriser et optimiser les rendements. La culture sous abri, et plus particulièrement sous serre, s’impose comme une réponse technique et agronomique de premier plan. Loin d’être un simple refuge, la serre est un véritable outil de pilotage climatique, permettant de créer un environnement sur mesure pour les plantes. En maîtrisant la température, l’humidité et la lumière, le jardinier ou l’agriculteur peut non seulement s’affranchir des contraintes du calendrier saisonnier mais aussi améliorer la qualité et la quantité de ses récoltes. Il s’agit de recréer un microclimat idéal, une bulle de conditions favorables à la croissance végétale.
Comprendre l’importance de la culture sous serre
L’adoption d’une serre pour la culture n’est pas un simple caprice de jardinier mais une décision stratégique qui répond à plusieurs objectifs fondamentaux. Elle transforme la manière de produire en offrant un contrôle accru sur l’environnement direct des plantes, ce qui se traduit par des avantages concrets et mesurables.
Étendre les périodes de production
Le bénéfice le plus évident de la culture sous serre est la capacité à décaler le calendrier de culture. En protégeant les jeunes plants des dernières gelées printanières, il devient possible de commencer les semis et les plantations bien plus tôt dans la saison. De même, à l’automne, la serre protège des premiers froids et permet de prolonger les récoltes de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois pour certaines cultures. Cette extension de la saison de croissance assure une production plus étalée et souvent plus abondante.
Maîtriser les conditions de croissance
À l’intérieur d’une serre, le producteur devient le maître du climat. Il peut gérer avec précision des paramètres vitaux pour les plantes, ce qui est impossible en plein champ. La gestion de l’eau, par exemple, est optimisée grâce à des systèmes d’irrigation localisés comme le goutte-à-goutte, réduisant ainsi le gaspillage et le stress hydrique. La serre protège également les cultures des intempéries violentes telles que la grêle, les vents forts ou les pluies battantes qui peuvent endommager physiquement les végétaux et tasser le sol. Cette maîtrise permet de créer des conditions stables, propices à une croissance saine et vigoureuse.
Une protection sanitaire renforcée
L’environnement clos de la serre constitue une barrière physique efficace contre de nombreux agresseurs extérieurs. Avec l’évolution des réglementations limitant l’usage des produits phytosanitaires, cette protection devient un atout majeur. Les avantages sont multiples :
- Réduction de la pression des insectes ravageurs venant de l’extérieur.
- Limitation de la propagation des maladies cryptogamiques (champignons) dont les spores sont souvent transportées par le vent et la pluie.
- Protection contre les dégâts causés par les oiseaux ou d’autres animaux.
Cet environnement contrôlé favorise la mise en place de stratégies de lutte biologique, en créant un écosystème où les insectes auxiliaires peuvent être introduits et prospérer.
Cette capacité à créer un environnement contrôlé et protecteur repose sur un principe physique fondamental, connu de tous mais dont les mécanismes précis méritent d’être explorés : l’effet de serre.
L’effet de serre dans les serres agricoles
Le nom même de la structure en dévoile le principe de fonctionnement. La serre agricole est conçue pour exploiter un phénomène naturel afin de piéger la chaleur. Ce processus, bien que simple en apparence, repose sur des notions de physique liées aux propriétés du rayonnement solaire et à la manière dont il interagit avec les matériaux de couverture.
Le mécanisme du piège à chaleur
Le soleil émet un rayonnement électromagnétique qui traverse l’atmosphère et atteint la surface de la Terre. Ce rayonnement est composé de différentes longueurs d’onde, incluant les ultraviolets (UV), la lumière visible et les infrarouges (IR). Les matériaux transparents ou translucides d’une serre laissent passer une grande partie de ce rayonnement, en particulier la lumière visible et les infrarouges courts. Une fois à l’intérieur, cette énergie est absorbée par le sol, les plantes et les objets présents, qui s’échauffent. En retour, ces corps chauffés émettent leur propre rayonnement, mais sous forme d’infrarouges longs, c’est-à-dire de la chaleur. C’est là que le piège se referme : les matériaux de couverture de la serre sont beaucoup moins perméables à ces infrarouges longs. La chaleur est donc retenue à l’intérieur, provoquant une élévation de la température.
Différentiel de température jour et nuit
L’efficacité de ce piège thermique est particulièrement marquée pendant la journée, lorsque l’ensoleillement est direct. La température à l’intérieur de la serre peut alors dépasser de plusieurs degrés, parfois de plus de dix, celle de l’extérieur. La nuit, en l’absence de rayonnement solaire, le processus s’inverse partiellement. La serre perd de la chaleur par conduction et convection, et le gain de température par rapport à l’extérieur est bien plus faible, souvent de l’ordre de quelques degrés seulement. Cependant, même ce petit différentiel peut être suffisant pour protéger les plantes du gel.
Comparaison indicative des températures (°C)
Moment de la journée | Température extérieure | Température intérieure de la serre | Gain thermique |
---|---|---|---|
Journée ensoleillée | 15 °C | 25-30 °C | +10 à +15 °C |
Nuit claire | 5 °C | 7-8 °C | +2 à +3 °C |
La performance de ce système dépend directement de la nature des parois. La sélectivité des matériaux de couverture est donc un facteur clé dans la création du microclimat.
Comment les matériaux modifient le climat de la serre
Le choix du matériau de couverture est une décision déterminante dans la conception d’une serre. Chaque matériau possède des propriétés optiques et thermiques distinctes qui influencent directement la transmission de la lumière, l’isolation et, en fin de compte, le microclimat interne. Le verre traditionnel, les films plastiques et les plaques de polycarbonate sont les principales options sur le marché.
Le verre horticole : transparence et durabilité
Matériau historique des serres et des jardins d’hiver, le verre reste une référence pour ses qualités. Sa principale force est son excellente transmission lumineuse, qui avoisine les 90 %. Il ne se dégrade pas sous l’effet des UV, ne jaunit pas et conserve sa transparence au fil des décennies. Son poids élevé et sa fragilité exigent cependant une structure portante robuste et coûteuse. En termes d’isolation, le verre simple est médiocre, mais l’utilisation de double vitrage peut considérablement améliorer ses performances thermiques, bien que cela augmente encore le coût et le poids.
Les films en polyéthylène : flexibilité et économie
Les films plastiques, principalement en polyéthylène (PE), sont la solution la plus répandue dans l’agriculture professionnelle en raison de leur faible coût et de leur facilité d’installation. Ils sont légers et peuvent couvrir de grandes surfaces (serres tunnels). Leur durée de vie est limitée car ils se dégradent sous l’effet des UV. Cependant, les fabricants ont développé des films techniques aux propriétés améliorées :
- Films thermiques : ils contiennent des additifs qui améliorent leur capacité à bloquer les infrarouges longs, limitant ainsi le refroidissement nocturne.
- Films diffusants : ils répartissent la lumière de manière plus homogène dans la serre, évitant les zones d’ombre et les brûlures sur les feuilles supérieures.
- Films anti-gouttes : un traitement de surface empêche la formation de gouttelettes de condensation qui pourraient tomber sur les plantes et favoriser les maladies.
Le polycarbonate : l’équilibre moderne
Les plaques de polycarbonate représentent un excellent compromis entre le verre et les films plastiques. Plus léger et beaucoup plus résistant aux chocs que le verre, le polycarbonate est souvent proposé en structure alvéolaire (double ou triple paroi). Cette structure emprisonne de l’air, lui conférant un pouvoir isolant bien supérieur à celui du verre simple. Sa transmission lumineuse est légèrement inférieure à celle du verre, mais il offre une excellente diffusion de la lumière. Il est traité contre les UV pour une bonne longévité, bien que celle-ci soit inférieure à celle du verre.
Ces matériaux, aussi performants soient-ils, ne sont que des intermédiaires dont le rôle est de capter et de gérer la source d’énergie primaire qui alimente tout le système : le soleil.
Énergie solaire : le cœur du système des serres
La serre est fondamentalement un capteur solaire passif. Son efficacité ne dépend pas seulement de ses matériaux, mais aussi de sa conception et de son orientation, qui doivent être pensées pour tirer le meilleur parti de l’énergie gratuite et abondante du soleil. Cette énergie est essentielle non seulement pour la chaleur, mais aussi pour le processus vital de la photosynthèse.
L’orientation et l’inclinaison pour une captation maximale
Pour capter un maximum de rayonnement solaire, surtout pendant les mois où la lumière est moins intense (début du printemps, fin de l’automne), l’orientation de la serre est cruciale. Dans l’hémisphère nord, une orientation est-ouest est généralement recommandée pour les serres utilisées à l’année. Cela signifie que le plus long côté de la serre fait face au sud, maximisant ainsi l’exposition au soleil bas de l’hiver. L’angle du toit doit également être optimisé pour que les rayons du soleil d’hiver frappent la surface de la manière la plus perpendiculaire possible, réduisant la réflexion et augmentant l’absorption d’énergie.
Lumière visible et photosynthèse
Au-delà de la chaleur, la fonction première de la lumière solaire est de permettre la photosynthèse, le processus par lequel les plantes convertissent l’énergie lumineuse en énergie chimique pour leur croissance. Les plantes utilisent principalement la partie visible du spectre lumineux. Une bonne serre doit donc garantir une transmission élevée de ce qu’on appelle le rayonnement photosynthétiquement actif (PAR). Des parois propres et un matériau de couverture de haute qualité sont indispensables pour ne pas priver les cultures de cette précieuse ressource. Une lumière insuffisante peut entraîner un étiolement des plantes (tiges longues et faibles) et une baisse de la production.
Tirer parti de cette énergie solaire gratuite est l’objectif, mais cela implique également de savoir la réguler pour éviter les excès qui pourraient être tout aussi préjudiciables que son manque.
Stratégies pour optimiser le microclimat interne
Une fois la structure en place et l’énergie solaire captée, le véritable travail de pilotage du microclimat commence. Il ne suffit pas de laisser la température monter ; il faut la réguler, gérer l’humidité et assurer un renouvellement de l’air. Plusieurs stratégies et équipements permettent d’affiner les conditions à l’intérieur de la serre pour qu’elles correspondent parfaitement aux besoins des cultures.
La ventilation : le poumon de la serre
La ventilation est sans doute l’outil de régulation le plus important. Sans elle, la température peut atteindre des niveaux mortels pour les plantes en quelques heures lors d’une journée ensoleillée. La ventilation remplit trois fonctions essentielles : elle évacue l’excès de chaleur, elle réduit le taux d’humidité pour prévenir les maladies fongiques, et elle renouvelle l’air pour apporter le CO2 nécessaire à la photosynthèse. Elle peut être naturelle, grâce à des ouvertures en toiture (lanterneaux) et sur les côtés, qui créent un flux d’air par effet de cheminée, ou mécanique, à l’aide d’extracteurs d’air et de ventilateurs.
Le contrôle de l’humidité relative
L’humidité est un paramètre à double tranchant. Un air trop sec augmente la transpiration des plantes et peut causer du stress, tandis qu’un air trop humide, surtout avec de la condensation, est un terrain de jeu idéal pour les champignons pathogènes comme le mildiou ou le botrytis. La gestion de l’humidité passe principalement par la ventilation, mais aussi par une irrigation raisonnée (éviter de mouiller le feuillage) et, dans certains cas, par l’utilisation de systèmes de brumisation pour augmenter l’hygrométrie ou de déshumidificateurs pour la réduire.
L’inertie thermique pour lisser les températures
Pour atténuer les variations de température entre le jour et la nuit, on peut utiliser le principe de l’inertie thermique. Il s’agit d’intégrer dans la serre des matériaux à forte masse thermique, capables d’absorber la chaleur pendant la journée et de la restituer lentement pendant la nuit. Des bidons d’eau peints en noir, un muret en pierre ou en brique adossé à la paroi nord, ou même un sol en terre battue sont des solutions simples et efficaces pour créer un effet tampon et stabiliser le climat interne.
Créer un microclimat idéal est une chose, mais il faut également s’assurer que cet environnement favorable ne profite pas uniquement aux cultures, en le protégeant des menaces extérieures.
Protéger les cultures des ravageurs et des intempéries
La serre, en tant que structure physique, offre une première ligne de défense évidente contre les agressions du monde extérieur. Elle constitue une barrière qui isole les cultures des conditions météorologiques les plus rudes et de nombreux organismes nuisibles. Cependant, cette protection n’est pas absolue et doit être complétée par des pratiques de gestion avisées pour être pleinement efficace.
La barrière physique contre le climat et la faune
Le rôle premier de l’abri est de protéger. Les parois de la serre mettent les plantes à l’abri du vent, qui peut les dessécher ou les casser, de la grêle, qui peut lacérer les feuilles et les fruits, et des pluies violentes. Cette barrière physique est également efficace contre les plus gros ravageurs. Les oiseaux, les lapins ou d’autres mammifères ne peuvent pas accéder aux cultures. C’est une protection simple, passive mais fondamentale, qui sécurise la production face à des menaces imprévisibles.
La gestion intégrée des nuisibles sous abri
Si la serre bloque l’entrée de nombreux ravageurs, elle peut aussi devenir un incubateur idéal pour ceux qui parviennent à s’y introduire, car les conditions de température et d’humidité y sont optimales et les prédateurs naturels souvent absents. Il est donc crucial d’adopter une approche de lutte intégrée. Cela commence par la prévention : poser des filets anti-insectes sur toutes les ouvertures (portes et aérations) est une mesure indispensable. Il faut également maintenir une hygiène stricte, en enlevant rapidement les débris végétaux et les plantes malades. Enfin, la serre est le lieu parfait pour le déploiement de la lutte biologique, en introduisant des insectes auxiliaires (coccinelles contre les pucerons, par exemple) qui vont réguler les populations de ravageurs de manière naturelle.
La création d’un microclimat favorable sous serre est un exercice d’équilibre. Il s’agit de maîtriser les principes physiques de l’effet de serre, de choisir judicieusement les matériaux de construction et de piloter activement des paramètres clés comme la ventilation et l’humidité. Cet environnement contrôlé permet non seulement de prolonger les saisons de culture et d’optimiser l’usage des ressources, mais il constitue également une protection physique précieuse contre les aléas climatiques et les ravageurs. La serre n’est donc pas un simple abri, mais un outil technologique au service d’une production végétale plus résiliente et performante.